Demain, je ne manifesterai pas. J’ai souvent dit que je descendrai dans la rue, s’il le fallait. Mais je crois n’avoir jamais manifesté (peut-être avec mon père quand j’étais petite). J’ai voulu le faire, je n’ai jamais réussi. C’est trop. La foule, le bruit, la promiscuité… Je porterai un brassard en soutien à mes collègues. Je ne travaille plus en EAJE. J’ai fait ce que j’ai pu sur le terrain. ça m’a desservie en tous points, je préfère donc m’abstenir.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Arnaud Deroo, voici sa lettre au président, publiée sur FB. Merci à @peazpetiteenfance d’avoir relayé ! Je la partage ici pour les allergiques, comme moi, à ce réseau social. Pardon Arnaud, j’ai corrigé quelques coquilles et surtout j’ai précisé des règles « assouplies » pour les EAJE, au même titre que les MAM et micro-crèches, sinon l’accueil de qualité en pâtira trop dans ces petites structures !! Et personne ne le souhaite, pitié !
« Monsieur le président,
Je rêve de « toucher » votre cœur (mais est-ce possible ?), votre sensibilité, votre humanité pour vous faire comprendre combien s’occuper réellement, vraiment de la petite enfance et de la famille sont des enjeux capitaux pour notre avenir. Je dis souvent que s’occuper de la petite enfance, c’est faire du développement durable.
Nous sommes, paraît-il, dans le pays des droits de l’Homme et de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant Pour autant, par moment, nous pouvons en douter.
Il nous reste sincèrement des choses importantes à faire. En outre, quand j’écris ces mots nous n’avons toujours pas signé la loi contre les châtiments corporels et humiliations faites aux enfants alors que plus de 35 pays l’ont fait. Donner une fessée à un enfant semble encore être un acte éducatif admis dans notre pays.
Aparté personnel : mercredi 6 mars 2019, le Sénat a voté une loi qui interdit les violences physiques ou psychologiques à l’égard des enfants. A lire sur l’OVEO. Planète EJE
S’occuper du jeune enfant, du bébé, n’est pas qu’une question privée.
S ‘occuper du jeune enfant, du bébé est un sujet d’état.
Construire un nouveau monde s’élabore dès la petite enfance, dans le lien parent-enfant.
Maria Montessori (que vous avez mis de côté pour l’éducation Nationale) disait :
«si nous nous occupions des jeunes enfants différemment, le monde changerait»
C’est tellement vrai.
Respecter réellement le jeune enfant, offrir des adultes bien-traitants devrait être une cause nationale, mais depuis plusieurs gouvernements cela n’est pas une préoccupation.
Défendre un tel projet n’est pas utopique.
Les spécialistes de l’enfance (dont je fais partie) n’ont de cesse d’attirer l’attention sur l’empreinte fondamentale des premières années et les grandes personnes s’en moquent.
Ces spécialistes nous rappellent que, si les adultes représentent insécurité, incertitude ou encore manque d’amour et de tendresse, naîtront alors chez l’enfant non seulement des sentiments d’agressivité et de violences psychologiques contre lui-même, contre la société mais aussi des difficultés d’apprentissages qui entraînent ensuite de nombreuses dépenses.
De nos jours, les sciences humaines, neurologiques, voire quantiques, démontrent avec force combien ces postulats sont vrais. Mais la petite enfance n’est toujours pas une urgence.
Même les économistes, prix Nobel, déclarent que les problèmes économiques relèvent aussi de mécanismes affectifs.
Les comportements de violence, de furie que nous vivons depuis quelques temps trouvent aussi leurs origines dans l’éducation et cette cause est rarement évoquée.
Une éducation bienveillante, respectueuse de l’enfant ne fabrique pas des terroristes.
Se « faire sauter » est vraiment un signe de non-respect de soi et des autres.
S’aimer et respecter l’autre s’apprend dès les premières années. Non dans la soumission, obéissance, autoritarisme mais dans le respect et l’amour.
Nier ses connaissances, ne pas mener une politique petite enfance sérieuse et efficace conduisent non seulement à des résultats douloureux générant de grandes détresses sur de longue périodes pour les enfants comme les familles, mais aussi à l’élaboration de politiques coûteuses, erronées, pensées seulement en termes quantitatifs et curatifs.
Donc, il est du devoir des adultes de susciter l’épanouissement de l’enfant dans un contexte familial et sociétal propice à son développement et ce dès les premiers pas dans notre monde. C’est loin d’être le cas, et il semblerait que vous ayez des projets qui ne vont pas dans le bon sens. Si tel est le cas j’aurai perdu toute confiance en ces gouvernements qui se suivent.
Aimons et respectons réellement nos tout-petits.
Je vous demande, Monsieur le président, et je pense que de nombreux professionnels de l’enfance me suivent dans ces demandes :
- De remettre le taux de qualification dans les structures à 50%. Le gouvernement, sous M. Sarkozy, a baissé la qualification dans l’accueil des enfants en crèche, je pense que cela ne voit dans aucun corps de métier…
- De revoir le taux d’encadrement à 1/5 pour les marchants comme pour les non-marchants. Un.e auxiliaire doit actuellement s’occuper de 5 bébés. Imaginez-vous ce que cela représente ? Nous jouons avec la sécurité de base de nos enfants (bombe à retardement)
- D’instaurer l’obligation de trois journées de formation en intra par an pour toutes les structures d’accueil.
- D’organiser au rythme d’une fois tous les deux mois sur 2H des temps d’analyse de pratique si indispensable pour un accueil de qualité.
- De revoir le financement des structures ; la fameuse PSU alourdit le travail et fait oublier les fondamentaux de l’accueil et fragilise la sécurité psychique des enfants.
- De poser pour les MAM, micro-crèches, les mêmes règles de fonctionnement (assouplies) que pour l’accueil collectif.
- De réfléchir à la retraite des professionnels de l’enfance : la difficulté de leurs fonctions n’a pas été prise en compte dans la réforme des retraites, ce qui me paraît aberrant devant la fatigue psychique et physique de ces professionnels (ces professionnels peuvent faire 35H en présence des enfants alors que d’autres professionnels, comme les enseignants n’ont pas le même temps en présence des enfants, la fatigue est autant importante)
- De revoir la grille salariale de ces salariés. Il y a quelque-chose d’indécent, d’irrespectueux de proposer aux adultes qui s’occupent de nos enfants des salaires si peu valorisant. Un professionnel de la petite enfance a autant de valeur, si ce n’est plus qu’un trader ou commercial.
- D’imaginer le passage des structures petite enfance sous le ministère éducation et de donner la gestion des classes maternelles aux éducateurs de jeunes enfants, beaucoup mieux formés que les enseignants a cette tranche d’âge
- Et je ne vous parlerai pas des locaux, qui dans certains lieux relèvent d’une non considération pour les enfants.
J’ai rêvé à un ministère petite enfance, j’en ai rêvé…Mais rien.
Je serai honoré de vous parler de tout cela lors d’un entretien et je serai ce 28 mars face au ministère de la solidarité pour soutenir ces professionnels.
Recevez monsieur le président, mes respectueuses salutations, et s’il vous plaît soyez enfin un gouvernement qui écoute la voix des professionnels petite enfance.
Les jeunes enfants ne nous doivent rien, nous sommes leurs obligés. »
M. Deroo Arnaud